Une interprétation du lien entre la relation prêteur-emprunteur et les emprunteurs découragés

Août 2010

Document de recherche

Vincent Chandler,
Direction générale de la petite entreprise,
Industrie Canada

Sommaire :

Ce document de recherche examine les facteurs déterminants de découragement des petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes face aux demandes de financement.

Table des matières


Remerciements

L'auteur souhaite remercier David Storey, Denis Martel, Sascha Wiessmeyer et Richard Archambault pour leurs commentaires utiles.


Résumé

Ce document de recherche examine, à partir des données au niveau des entreprises publiées par le Programme de recherche sur le financement des PME (PRF PME) en 2004, les facteurs déterminants de découragement des petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes. Nous confirmons, du moins en partie, la notion voulant que les emprunteurs découragés présentent généralement un plus grand risque que les demandeurs. De plus, nous avons constaté certains signes indiquant que les emprunteurs découragés entretiennent une relation plus solide avec leur institution financière que les emprunteurs dont la demande a été refusée. En ce sens, les emprunteurs découragés sont mieux informés en ce qui concerne leur situation et leur intermédiaire financier; ils peuvent ainsi évaluer de façon plus réaliste la probabilité d'approbation de leur demande. Ils peuvent donc décider de ne pas présenter de demande étant donné qu'ils savent pertinemment qu'ils présentent un risque.

Classification JEL : G14, G21


I. Introduction

Les petites et moyennes entreprises (PME) jouent un rôle de premier plan dans l'économie du pays : 99 % des entreprises au Canada comptent moins de 500 employés et elles emploient 64 % des travailleurs du secteur privé (Industrie Canada, 2008). Ces entreprises doivent relever de nombreux défis, notamment l'accès au financement. La PME, comme il est difficile d'en comprendre les rouages intrinsèques (ce qu'il convient d'appeler le manque de transparence informationnelle [selon Berger et Udell, 2006]), doit faire face à un problème particulièrement pointu en matière d'information asymétrique lorsque vient le moment d'entrer en relation avec une institution financière. En effet, une banque connaît bien moins le fonctionnement d'une entreprise que l'entreprise elle-même. Même si ce problème concerne aussi les grandes entreprises, il est plus important pour les PME, qui n'ont souvent aucun antécédent commercial faisant état de leur solvabilité. Les banques ont ainsi de la difficulté à choisir des PME de « haute qualité » (sélection adverse) et les PME ne peuvent s'engager dans un projet donné (risque moral). Stiglitz et Weiss (1981) ont démontré que ces problèmes pouvaient entraîner un rationnement du crédit : certaines PME de « haute qualité » pourraient être insuffisamment financées ou privées de financement. Selon ce modèle, qui propose un taux d'intérêt suffisamment faible, tous les emprunteurs présentent une demande de financement, ce qui permet d'utiliser le taux de refus comme indicateur de rationnement du crédit.

Cependant, si les coûts associés à la demande de prêt sont ajoutés au modèle imparfait de sélection, certaines PME de « haute qualité » pourraient même s'abstenir de demander le financement dont elles ont besoin par crainte d'un refus (ce qu'il convient d'appeler les emprunteurs découragés [selon Kon et Storey, 2003]). Si cette crainte est irrationnelle, les emprunteurs dont la demande a été refusée pourraient ne constituer que la pointe de l'iceberg en ce qui concerne le rationnement du crédit. À partir des données tirées de la National Survey of Small Business Financing (NSSBF) aux États-Unis (1987), Levenson et Willard (2006) ont constaté que les emprunteurs découragés sont deux fois plus nombreux que les emprunteurs dont la demande a été refusée.

Dans ce cadre, les emprunteurs découragés auraient une bonne cote de crédit sans toutefois avoir la confiance nécessaire pour présenter une demande de financement. En étudiant le comportement des groupes sociaux-économiques potentiellement victimes de refus, Cavalluzzo et coll. (2002) ont, par exemple, constaté que les entreprises appartenant à des personnes d'origine afro-américaine ou hispanique étaient plus susceptibles de s'abstenir de présenter des demandes de financement. Si la crainte des préjudices nuit à la prise de décision de présenter ou non une demande, une politique doit être mise en place pour renforcer l'autonomie de ce segment plus frileux de la population. Han et coll. (2009) ont cependant remis en question cette théorie en démontrant que les emprunteurs découragés présentent habituellement un plus grand risque que les demandeurs, et que le découragement constitue dès lors un mécanisme efficace d'auto-rationnement. Les emprunteurs qui présentent un plus grand risque s'abstiennent tout simplement de présenter une demande, évitant ainsi d'en assumer les coûts.

Le présent document va dans le même sens et soutient que les emprunteurs découragés sont en fait des emprunteurs réalistes qui présentent un risque élevéNote de bas de page 1 (comme indiqué à la figure 1). Selon nos paramètres, les emprunteurs découragés comprennent les entreprises qui s'abstiennent de présenter une demande de financement par crainte d'un refus, et ce, indépendamment de leur niveau de risque, les emprunteurs refusés qui ont présenté une demande de financement au cours des douze mois précédant l'enquête, mais dont la demande a été refusée, et les emprunteurs approuvés qui ont présenté une demande de financement au cours des douze mois précédant l'enquête et dont la demande a été approuvée auprès d'au moins une institution financière.

Figure 1 : Cadre simplifié du découragement

Figure 1 : Cadre simplifié du découragement (la description détaillée se trouve sous l'image)
Dans ce cadre simplifié, les emprunteurs diffèrent en fonction de deux critères : le niveau d'information et le risque. Les emprunteurs bien informés ne font une demande de financement que lorsqu'ils présentent un faible risque. Les emprunteurs mal informés présentent toujours une demande de financement parce qu'ils n'arrivent pas à déterminer le risque qu'ils présentent; ils tentent donc leur chance. Les emprunteurs acceptés l'ont été par une institution financière, mais pas nécessairement la première à laquelle ils se sont adressés.
Description de la figure 1
Figure 1 : Cadre simplifié du découragement
  Risque élevé Risque faible
Emprunteurs bien informés Découragés Acceptés
Emprunteurs mal informés Refusés Acceptés

Bien qu'Han et coll. (2009) mettent principalement l'accent sur les variables financières, s'attendant à ce que les PME connaissent bien leur niveau de risque, nous avons expressément établi le modèle du processus d'apprentissage des PME pour démontrer que les emprunteurs découragés ont une solide connaissance de leur situation et de leur intermédiaire financier, grâce à la relation prêteur-emprunteur qu'ils entretiennent déjà. Par exemple, les emprunteurs découragés sont plus satisfaits de la relation qu'ils entretiennent avec le directeur de comptes de leur institution financière; ils sont aussi plus susceptibles d'entretenir des relations avec des coopératives de crédit. Finalement, ces emprunteurs présentent un plus grand risque financier que d'autres demandeurs étant donné qu'ils gèrent des entreprises de taille généralement plus petite et qu'ils connaissent les mêmes difficultés financières que les emprunteurs dont la demande a été refusée. Nous sommes les premiers à utiliser les données de l'Enquête sur le financement des petites et moyennes entreprises de Statistique Canada, 2004; jusqu'à maintenant les documents portant sur le sujet relativement nouveau des emprunteurs découragés provenaient surtout de la National Survey of Small Business Financing – NSSBF (d'après Cole, 2009, et Han et coll., 2009).

Le reste du document est structuré de la façon suivante : la section II présente des théories pertinentes et des preuves antérieures; la section III présente une analyse des données et des statistiques descriptives; la section IV explique la méthodologie utilisée, la section V présente les résultats, et la section VI formule les conclusions.


II. Théorie et preuves antérieures

Kon et Storey (2003) ont élaboré le premier modèle théorique expliquant la notion d'emprunteurs découragés : de bonnes entreprises qui s'abstiennent de présenter une demande de financement par crainte d'un refus. Les auteurs concluent que les coûts associés à la demande de financement, les erreurs de sélection, et l'environnement informationnel jouent un rôle dans l'établissement du niveau de découragement. Plus particulièrement, ces facteurs démontrent que plus les bons (ou mauvais) emprunteurs sont biens informés de leur qualité d'emprunteurs, plus le nombre d'emprunteurs découragés diminue (ou augmente). Han et coll. (2009) ont mis le modèle à l'essai en utilisant les données de 1993 de la NSSBF. Ils ont constaté que, généralement, les entreprises qui s'abstiennent de présenter une demande de financement par crainte d'un refus présentent un risque plus élevé que les entreprises cherchant à obtenir du capital. Par exemple, les emprunteurs découragés enregistrent un pointage plus faible établi par Dun et Bradstreet que les demandeurs. Plutôt que de limiter les comparaisons aux entreprises cherchant à obtenir du capital et aux emprunteurs découragés, Cole (2009) a ajouté une nouvelle catégorie aux fins d'analyse : les PME qui ont vu leur demande de financement refusée. En fonction de trois versions de données de la NSSBF (1993, 1998 et 2003), il a systématiquement constaté, tout comme Han et coll. (2009), que les emprunteurs découragés présentent un plus grand risque que les entreprises cherchant à obtenir du capital, mais seulement par rapport aux défaillances des entreprises et à l'importance des actifs. Cependant, lorsqu'il compare les PME découragées et celles qui ont vu leur demande de financement refusée, la seule différence qui revient de façon systématique concerne le nombre de sources financières bancaires et non bancaires qui ont été utilisées pour répondre aux besoins de financement. Les PME qui ont vu leur demande refusée utilisent plus de sources financières et n'entretiennent donc pas de relations solides avec une seule source. De plus, en 2003, les PME qui ont vu leur demande refusée entretenaient des relations d'une plus courte durée avec leur principale institution financière comparativement aux emprunteurs découragés. Chakravarty et Xiang (2008) ont aussi constaté que les emprunteurs découragés dans les pays sous-développés établissent des relations avec un moins grand nombre de banques. Finalement, Bonnet, Cieply et Dejardin (2009) ont constaté que les emprunteurs découragés entretiennent des relations très avancées avec les banques.

Dans les documents traitant des relations prêteur-emprunteur résumés par Elyasiani et Goldberg (2004), on a utilisé deux variables pour expliquer la notion de découragement, dont le nombre de sources financières et la durée des relations, lesquelles jouent aussi un rôle important. Nous présentons ici un aperçu des publications qui font état d'un lien entre les relations avec les banques et la disponibilité du financement. L'objectif général consiste à démontrer que la solidité de la relation permet à la banque de mieux connaître l'entreprise et justifie de meilleures prises de décision.

Alors que Berger et Udell (2005) démontrent que les entreprises qui ont établi des relations à long terme avec les banques profitent de meilleures conditions d'emprunt, Petersen et Rajan (2004) sont les premiers à établir un lien direct entre les relations prêteur-emprunteur et la disponibilité du financement. En utilisant les données de 1987 de la NSSBF, Petersen et Rajan (2004) constatent que l'établissement de relations à long terme avec les banques et que la concentration des marchés financiers accroissent la disponibilité du financement, alors que le nombre d'intermédiaires financiers la diminue. La première conclusion donne à penser que les relations à long terme réduisent l'asymétrie d'information entre l'emprunteur et la banque; les deuxième et troisième conclusions s'expliquent par le fait que les institutions financières doivent avoir une position de monopole afin que leur investissement dans cette relation soit profitable. Selon les auteurs, le remboursement tardif du crédit commercial indique qu'une entreprise connaît des problèmes à trouver du financement conventionnel et abordable. Harhoff et Körting (1998) confirment ces conclusions après avoir sondé près de mille PME allemandes, en utilisant une fois de plus le remboursement tardif du crédit commercial.

Cole (1998) ignore le crédit commercial pour évaluer les facteurs réels qui influent sur les décisions prises par les banques d'accorder ou non du financement, telles que rapportées dans les données de 1993 de la NSSBF. Il constate, entre autres, que la durée de la relation ne joue pas un rôle aussi important que l'existence même de cette relation. Chakravarty et Yilmazer (2005) ajoutent aux résultats de cette étude en utilisant les données de 1998 de la NSSBF en démontrant que le nombre total de comptes d'épargne et le nombre de prêts auprès d'une institution financière prêteuse ne font qu'influencer le taux de demande de financement et d'approbation, sans avoir aucune incidence sur les coûts de financement.

Il a été démontré sans aucun doute que le type de relation joue un rôle sur les décisions de financement, mais ce cadre est mal défini. Berger et Udell (2002) ont souligné l'importance qu'exerce la petite taille des institutions financières et le phénomène de la décentralisation qui permet d'établir une relation prêteur-emprunteur. Cole, Goldberg et White (2004) ont étudié ce facteur de taille à partir des données de 1993 de la NSSBF. Ils divisent les banques en deux groupes en fonction d'un seuil des actifs de la banque d'un milliard de dollars américains. Ils ont constaté que les banques de petite taille misaient davantage sur les relations personnelles lorsqu'elles évaluaient une demande de prêt, alors que les banques de plus grande taille examinaient l'information quantitative. Vos et coll. (2007) vont plus loin, démontrant que l'information financière ne semble pas jouer un rôle dans la décision d'accorder un prêt. Ils ont pour ce faire utilisé les données de 1998 de la NSSBF et les résultats d'un sondage mené auprès des membres de la British Federation of Small Business (2004). Finalement, Lehman et Neuberger (2001) ont examiné le facteur de la décentralisation en évaluant les relations entre les PME et les directeurs de comptes. En plus des variables habituelles qui permettent d'évaluer la relation entre la PME et la banque, ils incluent les variables suivantes qui décrivent les relations entre le directeur de comptes et la PME : expérience positive dans le passé, obligations envers le partenaire, volonté d'informer et stabilité de la relation. De tous ces facteurs, l'expérience positive et la volonté d'informer jouent un rôle important en ce qui a trait à la décision de la banque d'accorder du crédit.

Dans ce document, nous avons combiné les concepts tirés des publications traitant des relations prêteur-emprunteur et des emprunteurs découragés. Le principe est que les banques ne sont pas les seules entités à recueillir de l'information par l'établissement de ces solides relations; les PME parviennent aussi à en apprendre sur elles-mêmes et sur leur banque au cours de ce même processus. À la manière de Cole (2009), nous établissons des comparaisons entre les emprunteurs découragés et les demandeurs, tout en prenant en compte les emprunteurs refusés. Dans le cadre de cette analyse, nous avons inclus des variables qui prennent en compte la durée de la relation entre la PME et la banque, comme Petersen et Rajan (1994). Nous avons également tenu compte d'une variable qui détermine si la PME transige avec un directeur de comptes, comme proposé par Cole (1998), pour valider si une relation a été établie; nous avons aussi ajouté des variables qui décrivent la relation entre le directeur de comptes et la PME, comme proposé par Lehman et Neuberger (2001). Finalement, nous avons utilisé le degré de satisfaction de la PME en ce qui concerne la commodité, l'accessibilité et les frais de service en vue d'évaluer les coûts associés à une demande de financement, comme proposé par Kon et Storey (2003).


III. Données et statistiques descriptives

Nous avons utilisé les données de l'Enquête sur le financement des petites et moyennes entreprises (2004) de Statistique Canada qui cible les PME canadiennes et examine leur comportement en matière de financement. Cette enquête a pour principal objectif de déterminer quel type de PME présente des demandes de financement sous forme de dette, de location-bail, de capitaux propres, et de crédit commercial, et de déterminer quelles PME voient leurs demandes approuvées. L'enquête présente aussi certains renseignements généraux relatifs aux PME et à leur relation avec les banques ainsi que des éléments d'information financière.Note de bas de page 2

Nous avons défini les emprunteurs découragés comme des entreprises qui ne demandent pas de financement pour une des trois raisons suivantes : la crainte d'un refus, les difficultés associées à la demande de financement, et la durée du processus de demande de financement. La première raison est de nature traditionnelle, alors que les deux autres correspondent aux problèmes liés aux coûts de la demande, que Kon et Storey (2003) ont recensés comme motif de découragement. Les demandeurs gèrent des PME qui présentent une demande de financement sous une des formes suivantes : crédit, location-bail, capitaux propres, ou crédit commercial. Les PME refusées n'ont reçu aucune de ces formes de financement, alors que celles dont les demandes ont été approuvées ont profité d'une de ces formes de financement. À partir d'un échantillon important comptant 12 047 PME, nous avons constaté la présence de 62 emprunteurs découragés, de 552 emprunteurs acceptés, et de 160 PME refusées, sans aucune valeur manquante. Les emprunteurs refusés étaient presque trois fois plus nombreux que les emprunteurs découragés. Si nous ne prenons en compte que les entreprises qui se sont financées par la dette, ce ratio n'est plus que de deux pour un; ce dernier ratio est identique à celui rapporté par Chakravarty et Yilmazer (2005).


IV. Méthodologie utilisée

Pour expliquer la notion de découragement, nous avons utilisé les quatre blocs suivants de variables indépendantes : la relation avec le directeur ou la banque, les caractéristiques d'entreprise, les caractéristiques des propriétaires de la PME, et les variables de contrôle. Les paragraphes suivants décrivent le contenu de chacun des quatre blocs.

a) Relation avec le directeur ou la banque

Comme il est indiqué dans la plupart des publications traitant des relations prêteur-emprunteur, nous sommes d'avis que la relation avec le directeur ou avec la banque joue un rôle important en ce qui a trait à la disponibilité du financement que peut générer une réduction de l'asymétrie d'information. Il y a d'abord le degré de satisfaction indiqué par la PME qui démontre l'intensité ou la proximité de la relation entre la PME et le directeur de comptes. Une relation solide aidera les deux parties à surmonter le problème de l'asymétrie d'information. À mesure que le directeur de comptes en apprendra davantage sur la PME, la PME pourra du même coup en apprendre davantage sur les critères utilisés par le directeur de comptes. Nous avons utilisé cinq critères pour évaluer le degré de satisfaction : la commodité et l'accessibilité, les frais de service, la compréhension des besoins commerciaux, la relation avec le directeur de comptes, et la qualité globale du service. Nous avons évalué les cinq critères à l'aide de l'échelle de Likert à sept points, allant de 1 à 7 (7 indiquant le degré le plus élevé de satisfaction). Selon notre hypothèse voulant que les emprunteurs découragés soient simplement plus réalistes, nous nous attendions à ce que les emprunteurs découragés aient un degré de satisfaction plus élevé en ce qui a trait à la relation avec le directeur de comptes et à la qualité globale du service. Si la façon d'expliquer les coûts associés à la demande de financement est valide, les variables comme la commodité ou les frais de service occuperaient une place importante et négative lorsque vient le moment d'expliquer le phénomène du découragement. Si les emprunteurs découragés sont en effet des victimes, leur degré de satisfaction est généralement faible.

Ensuite, la décentralisation des décisions d'accorder du financement, rapportée par Berger et Udell (2002), accorde plus de poids à la relation prêteur-emprunteur. Nous avons donc utilisé une variable nominale associée à l'utilisation d'une coopérative de crédit comme principal intermédiaire financier. Au Canada, les six grandes banques occupent 90 % du marché selon le calcul des actifs (Allen et Engert, 2007), et près de 65 % du portefeuille canadien (Industrie Canada, 2006, page 33). Ainsi, les coopératives de crédit jouent le rôle des petites banques aux États-Unis. Les coopératives de crédit, tout comme les petites banques, sont reconnues pour miser sur la relation prêteur-emprunteur (Berger et Udell, 2002), ce qui tend à favoriser l'échange de renseignements entre les institutions financières et les entreprises cherchant à obtenir du financement. Nous prévoyions un plus haut niveau de découragement avec les coopératives de crédit en raison du meilleur échange de renseignements. Finalement, et comme il est d'usage, nous avons utilisé le facteur de la durée de la relation avec la banque et celui de l'assignation d'un directeur de comptes pour la PME comme indicateur de la relation. Les relations établies depuis plus longtemps devraient permettre un meilleur échange de renseignements entre les deux parties.

b) Caractéristiques d'entreprise

Les caractéristiques d'entreprise peuvent aussi influer sur le découragement lorsqu'il faut déterminer l'asymétrie d'information réelle et les coûts associés à la demande de financement. Premièrement, les entreprises déterminent parmi les éléments suivants ceux qui font obstacles à leur croissance : obtention du financement, compétences en gestion et faible rentabilité. Les entreprises qui ont, par exemple, déterminé que les compétences en gestion constituent un important obstacle à la croissance pourraient devoir assumer des coûts plus élevés associés à la demande de financement, ce qui mène au découragement. Deuxièmement, les entreprises dans les centres urbains pourraient tirer profit de la présence d'autres entreprises pour mesurer et établir leur niveau de qualité. Troisièmement, l'âge de la PME devrait lui permettre de profiter de l'expérience acquise dans sa relation avec les banques, réduisant ainsi les coûts associés aux demandes de financement; de plus, les PME plus expérimentées peuvent mieux évaluer leurs possibilités d'obtenir du financement. Les résultats liés aux prévisions étaient par conséquent partagés. Le même argument peut être utilisé relativement au nombre d'employés. Quatrièmement, les PME exportatrices sont probablement mieux outillées pour faire face au fardeau administratif; elles peuvent réduire les coûts associés aux demandes de financement et, par conséquent, être moins sujettes au découragement. Cinquièmement, un banquier aura sans doute plus de difficulté à comprendre les entreprises qui mènent des activités intensives de recherche et développement. Ainsi, l'asymétrie d'information sur la qualité de l'entreprise pourrait devenir très importante. Il est cependant possible que les PME qui mènent des activités intensives de recherche et développement craignent de ne jamais être comprises et, par conséquent, qu'elles s'abstiennent d'établir une relation avec une institution financière. L'incidence de cette variable produit donc des résultats contrastés. Sixièmement, les entreprises qui souhaitent prendre de l'expansion déploieront probablement les efforts nécessaires pour établir une relation avec une banque; elles pourront alors mieux évaluer leurs possibilités d'obtenir du financement et deviendront plus sujettes au découragement. Finalement, selon Vos et coll. (2007), les données financières ne sont pas propres au processus de financement, mais, selon Han et coll. (2009), il s'agit exactement du facteur qui distingue les demandeurs des emprunteurs découragés. Il est possible de découvrir quelle sera la vision dominante en utilisant des éléments comme le rendement de l'actif, le ratio de liquidité relative, le ratio de couverture de l'intérêt, et le niveau de ventes.

c) Caractéristiques des propriétaires

Dans le cas des PME, les caractéristiques des propriétaires sont difficiles à dissocier de celles de l'entreprise; elles doivent donc être prises en compte. D'abord, l'âge et l'expérience du propriétaire sont probablement étroitement liés aux attentes réalistes ayant trait aux décisions de financement. Cependant, ces emprunteurs profitent probablement de coûts moindres associés aux demandes de financement, ce qui empêche toute prédiction quant à l'incidence sur le phénomène du découragement. Ensuite, nous avons utilisé une variable nominale pour recenser parmi les emprunteurs les personnes ayant un handicap, les immigrants, les Autochtones et les emprunteurs appartenant à des minorités visibles. Selon Cavalluzzo et coll. (2002), les emprunteurs appartenant à des minorités pourraient être craintifs et par conséquent ne pas présenter de demande de financement. Nous ne disposons malheureusement pas des données détaillées nécessaires pour établir des différences entre les minorités ethniques, ce qui ne nous permet pas de valider les conclusions de Cavalluzzo et coll. (2002).

d) Variables de contrôle

Pour terminer, nous avons utilisé deux variables de contrôle : les régions (Atlantique, Québec, Ontario, Prairies, Colombie-Britannique, et Territoires) et le type d'industrie (agriculture et secteur primaire, fabrication, commerce de détail, services professionnels, industries du savoir, tourisme et autres).

Ces variables sont d'abord utilisées comme simple régression logistique pour modéliser l'occurrence du phénomène de découragement parmi les PME qui ont besoin de financement. Nous avons ensuite mesuré la régression logistique multinomiale pour comparer les emprunteurs découragés, refusés ou acceptés. Les résultats correspondent à ceux associés aux simples régressions logistiques. Pour mieux valider le niveau de robustesse, nous avons aussi évalué les régressions logistiques en ne tenant compte que des prêts. Ces résultats, qui ne diffèrent pas tellement de ceux enregistrés lorsque les quatre formes de financement ont été utilisées comme référence, ne seront donc pas présentés.


V. Résultats empiriques

Le tableau 1 présente des résultats unidimensionnels qui permettent d'établir des comparaisons d'une part entre les emprunteurs découragés et les demandeurs, et d'autre part entre les emprunteurs découragés, et les emprunteurs acceptés ou ceux qui ont essuyé un refus. D'abord, nous constatons que les demandeurs sont généralement plus satisfaits que les emprunteurs découragés, et que les demandeurs qui ont essuyé un refus sont moins satisfaits que ceux qui ont été acceptés. Cependant, lorsque nous comparons les emprunteurs qui ont essuyé un refus et les emprunteurs découragés, nous constatons que les emprunteurs découragés sont plus satisfaits de la relation qu'ils entretiennent avec leur directeur de comptes que les emprunteurs refusés.

Tableau 1 : Caractéristiques générales des petites et moyennes entreprises
Découragés Demandeurs Approuvés Refusés Différences importantes
(N=62) (N=711) (N=552) (N=160) Demandeurs découragés Découragés-refusés
Moyenne N Moyenne N Moyenne N Moyenne N
Remarque : Le nombre d'observations pour une variable est indiqué seulement s'il ne correspond pas au nombre général d'observations pour l'échantillon (N). Toutes les variables ayant trait à la satisfaction sont évaluées à l'aide d'une échelle allant de 1 à 7; 7 indiquant « très satisfait ». ETP signifie équivalent temps plein. Le ratio de liquidité générale est calculé comme suit : Actif à court terme divisé par Passif à court terme. La couverture d'intérêt représente le paiement des intérêts/résultat avant intérêts et impôts (BAII). Le nombre d'emprunteurs refusés et acceptés n'est pas égal à la somme des demandeurs, parce que certains demandeurs n'avaient toujours pas reçu de réponses au moment de l'enquête.
Satisfaction Commodité et accessibilité 5,19 5,53 5,59 4,84
Frais de services 3,79 4,31 4,35 3,65 Oui
Compréhension de l'entreprise 4,11 4,91 5,07 3,38 Oui
Relation avec directeur de comptes 5,35 5,43 5,55 4,38
Qualité globale 5,00 5,37 5,44 4,55
Relation Coopératives de crédit (binaire) 29,03 % 24,05 % 25,54 % 15,93 %
Durée de la relation en années 7,05 9,54 9,83 7,11 Oui
Directeur désigné (binaire) 50,00 % 75,67 % 76,09 % 71,68 % Oui Oui
Problèmes Financement 62,90 % 39,52 % 34,96 % 79,65 % Oui
Gestion 12,90 % 18,85 % 18,66 % 13,27 %
Rentabilité 53,23 % 41,91 % 41,30 % 41,59 %
Entreprise Rurale (binaire) 24,19 % 32,91 % 35,33 % 19,47 %
Âge de la PME 8,76 11,97 12,17 % 9,04 Oui
Exportation (binaire) 11,29 % 17,30 % 16,49 % 22,12 %
Investissement en R-D 1,68 1,58 1,57 0,05
Intention de croissance (binaire) 72,58 % 63,15 % 61,96 % 73,45 %
Équivalent temps plein 3,23 13,13 13,91 8,66 Oui Oui
Rendement de l'actif 0,20 10 0,13 158 0,12 126 0,13 32
Ratio de liquidité générale 3,96 10 2,74 158 2,82 126 2,77 32
Ratio de couverture de l'intérêt 0,29 10 0,20 158 0,19 126 0,02 32
Ventes 306 827 $ 10 2 563 666 $ 158 2 401 224 $ 126 1 091 071 $ 32 Oui Oui
Propriétaire Expérience (années) 10,24 11,57 11,54 11,02
Âge (années) 46,69 48,23 47,84 47,70
Invalidité (binaire) 3,23 % 3,23 % 2,90 % 4,42 %
Immigrant (binaire) 1,61 % 1,83 % 2,17 % 0,88 %
Autochtone (binaire) 1,61 % 3,23 % 3,62 % 2,65 %
Minorité visible (binaire) 12,90 % 7,59 % 7,07 % 8,85 %
Région Atlantique 14,52 % 14,91 % 15,76 % 9,73 %
Québec 22,58 % 29,25 % 29,89 % 26,55 %
Ontario 32,26 % 21,24 % 21,38 % 21,24 % Oui
Prairies 17,74 % 20,25 % 20,83 % 20,35 % Oui Oui
Colombie-Britannique 8,06 % 12,24 % 10,51 % 19,47 % Oui
Territoires 4,84 % 2,11 % 1,63 % 2,65 %
Secteur Agriculture et secteur primaire 3,23 % 13,78 % 15,04 % 5,31 % Oui
Fabrication 3,23 % 12,80 % 12,50 % 15,04 % Oui Oui
Grossiste/Détail 12,90 % 16,74 % 16,12 % 21,24 %
Services professionnels 8,06 % 7,17 % 7,25 % 8,85 %
Industrie du savoir 8,06 % 8,16 % 7,97 % 7,96 %
Tourisme 27,42 % 12,10 % 10,69 % 15,93 % Oui
Autres 37,10 % 29,25 % 30,43 % 25,66 %

Lorsque nous examinons les variables ayant trait à la relation, nous constatons que les emprunteurs découragés ont plus souvent recours aux services des coopératives de crédit, entretiennent une relation avec leur institution financière depuis moins longtemps, et sont moins susceptibles de transiger avec un directeur de comptes désigné que les demandeurs.

Ces résultats sont probablement liés au fait que les PME découragées, par rapport aux demandeurs, sont 3,21 années plus jeunes, comptent 9,9 employés de moins, et enregistrent des ventes inférieures de 2,3 millions de dollars. La relation des plus jeunes PME avec leur banque, par exemple, sera nécessairement plus récente. Pour ce qui est des obstacles à la croissance, les emprunteurs découragés sont moins susceptibles de rapporter des problèmes liés aux compétences en gestion, alors qu'ils sont plus susceptibles de rapporter des problèmes relatifs au financement que les demandeurs et les emprunteurs refusés. La taille de l'échantillon se rapportant aux données financières est trop petite pour permettre de tirer des conclusions à savoir si les emprunteurs découragés présentent un plus grand risque que les emprunteurs refusés, comme proposé par Kon et Storey (2009). Finalement, nous comptons moins d'emprunteurs découragés dans le secteur primaire et celui de la fabrication, mais plus dans le secteur du tourisme.

a) Comparaison entre les emprunteurs découragés et les demandeurs

Une question fondamentale se pose en ce qui concerne les emprunteurs découragés : pourquoi les emprunteurs découragés ne présentent-ils pas de demande de financement alors que le taux d'approbation est de près de 80 % (Industrie Canada, 2006, page 12)? Une régression logistique répond directement à cette question en comparant les emprunteurs découragés et les demandeurs. Nous avons utilisé quatre facteurs pour définir les déterminants du découragement. Pour tous les facteurs, les ratios sont stables et l'indicateur de qualité de l'ajustement de Hosmer-Lemeshow n'est pas significatif, ce qui indique un bon ajustement. Nous confirmons le concept selon lequel les emprunteurs découragés sont généralement des entreprises de plus petite taille que les demandeurs, et nous présentons certaines preuves qui démontrent que les variables ayant trait à la relation jouent un rôle dans le processus de découragement. Une analyse détaillée des variables importantes est présentée dans les paragraphes qui suivent.

1. Relation avec l'institution financière

Selon la théorie de la discrimination, les emprunteurs découragés ne seraient pas satisfaits de la relation qu'ils ont établie avec leur directeur de comptes, parce qu'ils se sentent probablement à la merci de celui-ci. Cependant, les emprunteurs découragés entretiennent une bien meilleure relation avec leur directeur de comptes que les demandeurs (tableau 2). De plus, ces emprunteurs découragés sont plus susceptibles de faire affaire avec des coopératives de crédit qu'avec des banques. Les coopératives de crédit, tout comme les petites banques, sont reconnues pour miser sur la relation prêteur-emprunteur (Berger et Udell, 2002), ce qui favorise l'échange de renseignements entre les institutions financières et les entreprises cherchant à obtenir du financement. Ces deux conclusions appuieraient l'idée selon laquelle les emprunteurs découragés sont mieux informés du fonctionnement de leur institution financière et des possibilités de se voir accorder du financement.

Tableau 2 : Comparaison entre les emprunteurs découragés et les demandeurs
I II III IV
Remarque : Les régressions logistiques modélisent la probabilité d'être des emprunteurs découragés (=1) à partir d'un échantillon d'emprunteurs découragés et d'entreprises qui ont présenté une demande pour obtenir toute forme de financement (=0). Les variables omises sont présentées au tableau 1. Les niveaux d'importance sont définis ainsi : *** correspond à 1 %, ** correspond à 5 % et * correspond à 10 %.
Satisfaction Commodité et accessibilité −0,02
(0,86)
−0,03
(0,83)
−0,00309
(0,98)
Frais de services −0,07
(0,50)
−0,06
(0,53)
−0,0908
(0,38)
Compréhension de l'entreprise −0,16
(0,21)
−0,16
(0,19)
−0,2373 **
(0,04)
Relation avec directeur de comptes 0,28 ***
(0,01)
0,29 ***
(0,01)
0,2641 **
(0,02)
Qualité globale −0,06
(0,72)
−0,09
(0,57)
−0,0576
(0,71)
Relation Coopératives de crédit (binaire) 0,72 **
(0,05)
0,42
(0,21)
0,6660 *
(0,06)
Durée de la relation en années −0,03
(0,32)
−0,03
(0,31)
−0,0306
(0,12)
Directeur désigné (binaire) −0,99 ***
(0,00)
−0,91 ***
(0,00)
−0,9341 ***
(0,00)
Problèmes Financement 0,60 *
(0,09)
0,59 *
(0,08)
Gestion −0,52
(0,25)
−0,53
(0,22)
Rentabilité 0,18
(0,57)
0,24
(0,43)
Entreprise Rurale (binaire) −0,44
(0,24)
0,23
(0,54)
−0,45
(0,20)
Âge (LOG) de la PME 0,11
(0,68)
−0,20
(0,33)
0,14
(0,55)
Exportation (binaire) −0,07
(0,89)
−0,07
(0,89)
Investissement en R-D 0,55
(0,78)
0,66
(0,73)
Intention de croissance (binaire) 0,29
(0,41)
0,24
(0,51)
0,27
(0,42)
Équivalent temps plein −0,63 ***
(0,00)
−0,64 ***
(0,00)
−0,60 ***
(0,00)
Rendement de l'actif −0,08
(0,58)
Ratio de liquidité générale 0,01
(0,77)
Ratio de couverture de l'intérêt 0,05
(0,38)
Ventes 0,00 ***
(0,00)
Propriétaire Expérience (années) −0,02
(0,55)
Âge (années) 0,01
(0,64)
Invalidité (binaire) −0,49
(0,56)
Immigrant (binaire) 0,01
(0,99)
Autochtone (binaire) −0,86
(0,47)
Minorité visible (binaire) 0,03
(0,95)
Région Oui Oui Oui Oui
Secteur Oui Oui Oui Oui
R2 0,109 0,062 0,1 0,097
Hosmer-Lemeshow 0,152 0,924 0,892 0,382
Rapport de vraisemblance 89,85 5,57 81,37 79,6
N 773 872 773 773

Il a cependant été démontré que les emprunteurs découragés ne transigent pas avec un directeur de comptes désigné; la probabilité qu'ils transigent avec un directeur de comptes désigné est 77,3 % inférieure à celle des demandeurs. Comme les emprunteurs découragés ne transigent en général avec aucun directeur de comptes désigné, il est difficile d'établir le fait qu'ils entretiennent avec leur directeur de comptes une relation satisfaisante. Peut-être est-ce dû au fait que les emprunteurs découragés n'ont pas encore présenté de demande de financement auprès de leur institution financière. Il est possible que la relation avec la banque soit principalement basée sur la gestion des comptes courants ou d'épargne, comme suggéré par Cole, Goldberg et White (2004), et que, règle générale, aucun directeur de compte n'est désigné pour les simples épargnants. Le degré de satisfaction rapporté concernerait alors les employés de l'institution financière avec qui ils ont transigé.

2. Caractéristiques de l'entreprise

Les emprunteurs découragés sont 96 % plus susceptibles de rapporter que le financement constitue un obstacle à la croissance par rapport aux demandeurs (tableau 2 : I, III). Nous n'avons répertorié aucune preuve par l'analyse des ratios financiers que les emprunteurs découragés présentent un plus grand risque que les demandeurs. Seuls le nombre d'employés et le niveau des ventes pourraient indiquer que les emprunteurs découragés présentent peut-être un plus grand risque en raison de la plus petite taille de leur entreprise. Cette différence de taille pourrait aussi influer sur les coûts associés aux demandes de financement. En fait, les PME de taille plus importante sont plus susceptibles d'avoir dans leur rang du personnel spécialisé dans les transactions avec les institutions financières. Ainsi, il en coûte moins cher à ces PME plus imposantes pour présenter une demande de financement et elles ont généralement un plus haut taux d'approbation.

3. Caractéristiques des propriétaires

Contrairement à Cavalluzzo et coll. (2002), nous n'avons trouvé aucune preuve révélant des différences relatives aux immigrants ou aux minorités visibles. Ce résultat pourrait être attribuable aux diverses attitudes adoptées à l'égard de divers types d'immigrants ou de minorités visibles. En fait, Cavalluzzo et coll. (2002) ont constaté des ratios positifs et négatifs pour différents groupes ethniques; notre variable pourrait donc saisir les incidences négatives et positives et ainsi être de peu d'importance.

b) Comparaison entre les emprunteurs découragés, et les emprunteurs refusés et acceptés

Han et coll. (2009) font valoir que les emprunteurs découragés présentent généralement un plus grand risque que les demandeurs. Puisque 81 % des demandeurs sont acceptés (Industrie Canada, 2006, page 12), la comparaison entre les demandeurs et les emprunteurs découragés est en réalité une comparaison entre les emprunteurs acceptés et les emprunteurs découragés. La comparaison entre les emprunteurs découragés et les emprunteurs refusés est cependant plus intéressante, car il est possible de déterminer ce qui a poussé les emprunteurs refusés à présenter une demande de financement. Les résultats de l'analyse sont présentés dans les paragraphes ci-dessous.

1. Relation avec l'institution financière

Comme démontré lors de la comparaison entre les demandeurs et les emprunteurs découragés, nous avons constaté que les emprunteurs découragés sont plus susceptibles d'être satisfaits de la relation qu'ils entretiennent avec leur directeur de comptes que les emprunteurs qui ont essuyé un refus, et qu'ils sont aussi plus susceptibles de faire affaire avec une coopérative de crédit (tableau 3 : I, III et IV). Facteur intéressant, l'indice de satisfaction entre les emprunteurs refusés et les emprunteurs découragés (−0,31) est plus grand que l'indice de satisfaction produit par la comparaison entre les emprunteurs acceptés et les emprunteurs découragés (−0,28). Pour ce qui est des coopératives de crédit, cet indice est toujours plus fort et plus important entre les emprunteurs refusés et les emprunteurs découragés (−0,91) qu'entre les emprunteurs acceptés et les emprunteurs découragés (−0,65). Ces résultats soutiennent la notion voulant que les emprunteurs découragés soient mieux informés que les deux groupes, mais l'écart est plus important avec les emprunteurs refusés, comme indiqué au tableau 1. Comme le démontre la comparaison avec les demandeurs, les PME qui ont vu leur demande de financement refusée sont 70 % plus susceptibles de transiger avec un directeur de comptes désigné. Les mêmes explications que pour la comparaison précédente s'appliquent.

Tableau 3 : Comparaison entre les emprunteurs découragés et les emprunteurs refusés
I II III IV
Remarque : Les régressions logistiques modélisent la probabilité d'être des emprunteurs découragés (=1) à partir d'un échantillon d'emprunteurs découragés et d'entreprises qui se sont vu refuser toute forme de financement (=0). Les niveaux d'importance sont définis ainsi : *** correspond à 1 %, ** correspond à 5 % et * correspond à 10 %.
Satisfaction Commodité et accessibilité −0,03
(0,85)
0,00
(0,99)
−0,01
(0,93)
Frais de services −0,16
(0,23)
−0,13
(0,32)
−0,13
(0,29)
Compréhension de l'entreprise 0,00
(0,99)
−0,04
(0,75)
−0,09
(0,46)
Relation avec directeur de comptes 0,29 **
(0,03)
0,30 **
(0,02)
0,29 **
(0,02)
Qualité globale −0,14
(0,41)
−0,14
(0,40)
−0,11
(0,48)
Relation Coopératives de crédit 0,92 *
(0,07)
0,81
(0,08)
0,83 *
(0,06)
Durée de la relation en années −0,03
(0,38)
−0,02
(0,59)
−0,02
(0,44)
Directeur désigné −1,01 ***
(0,01)
−1,05 ***
(0,00)
−1,04 ***
(0,00)
Problèmes Financement −0,13
(0,78)
0,00
(0,99)
 
Gestion −0,57
(0,29)
−0,44
(0,39)
Rentabilité 0,62
(0,13)
0,44
(0,21)
Entreprise Rurale (binaire) −0,15
(0,76)
0,58
(0,24)
−0,20
(0,65)
Âge (LOG) de la PME 0,30
(0,45)
0,05
(0,86)
Exportation (binaire) −0,05
(0,94)
−0,26
(0,61)
Investissement en R-D 1,61
(0,53)
0,12
(0,96)
Intention de croissance (binaire) 0,45
(0,34)
−0,27
(0,57)
0,51
(0,26)
Équivalent temps plein (LOG) −0,74 ***
(0,00)
−0,56 ***
(0,00)
−0,51 ***
(0,00)
Rendement de l'actif −0,07
(0,76)
Ratio de liquidité générale 0,09
(0,11)
Ratio de couverture de l'intérêt 0,04
(0,57)
Ventes 0,00 *
(0,09)
Propriétaire Expérience (années) −0,01
(0,82)
Âge (années) 0,00
(0,97)
Invalidité (binaire) −1,13
(0,25)
Immigrant (binaire) 1,91
(0,25)
Autochtone (binaire) −0,78
(0,59)
Minorité visible (binaire) −0,13
(0,84)
Région Oui Oui Oui Oui
Secteur Oui Oui Non Oui
R2 0,236 0,208 0,185 0,168
Hosmer-Lemeshow 0,012 0,388 0,221 0,56
Rapport de vraisemblance 59,91 39,68 45,36 40,85
N 222 170 222 222

Curieusement, les indices de satisfaction ne sont pas vraiment différents entre les emprunteurs acceptés et refusés, à l'exception de la variable ayant trait à la « compréhension des besoins de l'entreprise ». Nous aurions cru que le degré de satisfaction aurait été plus grand chez les emprunteurs acceptés étant donné qu'ils ont vu leur demande de financement acceptée, mais ce n'est pas le cas (tableau 4). Ce résultat surprenant démontre que les différences au chapitre de la satisfaction ne sont pas reliées à la décision immédiate en matière de financement prise par l'institution financière, mais plutôt à une évaluation de la qualité de la relation à long terme.

Tableau 4 : Comparaison entre les emprunteurs découragés, et les emprunteurs refusés et les emprunteurs
I II
Refusés Acceptés Refusés Acceptés
Remarque : Le modèle de régression logistique multinomiale compare les emprunteurs refusés et acceptés aux emprunteurs découragés. Les niveaux d'importance sont définis ainsi : *** correspond à 1 %, ** correspond à 5 % et * correspond à 10 %.
Satisfaction Commodité et accessibilité 0,02
(0,92)
0,06
(0,65)
0,03
(0,86)
0,06
(0,06)
Frais de services 0,09
(0,47)
0,01
(0,92)
0,10
(0,43)
0,02
(0,86)
Compréhension de l'entreprise 0,02
(0,88)
0,21
(0,12)
0,00
(0,99)
0,22 *
(0,09)
Relation avec directeur de comptes −0,31 **
(0,01)
−0,28
(0,02)
−0,31 ***
(0,01)
−0,28 **
(0,02)
Qualité globale 0,12
(0,52)
0,04
(0,81)
0,13
(0,48)
0,03
(0,87)
Relation Coopératives de crédit −0,91 **
(0,03)
−0,65 *
(0,09)
−0,86 **
(0,04)
−0,62
(0,10)
Durée de la relation en années 0,03
(0,33)
0,04
(0,16)
0,03
(0,28)
0,04
(0,18)
Directeur désigné 1,14 ***
(0,00)
1,07 ***
(0,00)
1,13 ***
(0,00)
1,08 ***
(0,00)
Problèmes Financement −0,16
(0,70)
−0,86 **
(0,02)
−0,17
(0,67)
−0,83 **
(0,02)
Gestion 0,51
(0,29)
0,28
(0,54)
0,45
(0,35)
0,24
(0,59)
Rentabilité −0,09
(0,81)
−0,10
(0,76)
−0,09
(0,80)
−0,10
(0,78)
Entreprise Rurale (binaire) 0,36
(0,39)
0,70 *
(0,07)
0,33
(0,42)
0,70
(0,06)
Âge (LOG) de la PME 0,00
(0,84)
−0,01
(0,78)
0,00
(0,99)
−0,01
(0,74)
Exportation (binaire) 0,11
(0,84)
0,05
(0,92)
0,12
(0,82)
0,12
(0,81)
Investissement en R-D −0,07
(0,70)
0,04
(0,82)
−0,08
(0,67)
0,04
(0,82)
Intention de croissance (binaire) −0,28
(0,48)
0,39
(0,29)
−0,33
(0,40)
−0,37
(0,31)
Équivalent temps plein (LOG) 0,08 ***
(0,01)
0,09 ***
(0,01)
0,08 ***
(0,01)
0,09 ***
(0,01)
Propriétaire Expérience (années) 0,01
(0,70)
0,01
(0,80)
Âge (années) 0,01
(0,56)
−0,01
(0,50)
Invalidité (binaire) 0,64
(0,49)
0,42
(0,64)
Immigrant (binaire) −0,70
(0,65)
0,72
(0,54)
Autochtone (binaire) 0,09
(0,94)
1,30
(0,29)
Minorité visible (binaire) −0,11
(0,85)
−0,09
(0,86)
Région Oui Oui
Secteur Oui Oui
N 774 774

Finalement, et contrairement aux conclusions de Kon et Storey (2003), le peu de signification des variables ayant trait à la satisfaction relativement à la commodité et aux frais de service démontre que les coûts associés aux demandes de financement ne semblent pas jouer un rôle important dans le processus de découragement.

2. Caractéristiques de l'entreprise

Il est intéressant de constater que les emprunteurs refusés ne rapportent pas que les problèmes de financement constituent un obstacle plus important à leur croissance, comparativement aux emprunteurs découragés. Cette variable pourrait être un substitut au facteur de risque, démontrant que ces deux types de PME présentent un degré de risque semblable. Nous n'avons constaté aucune différence importante entre les variables de nature financière.


VI. Conclusion

Ce document de recherche examine les problèmes associés aux emprunteurs qui s'abstiennent de présenter une demande de financement par crainte d'un refus, ce qu'il convient d'appeler les emprunteurs découragés. Des éléments nous indiquent que ces entreprises présentent un plus grand risque que celles qui soumettent des demandes de financement, car elles connaissent de plus importants problèmes de financement et qu'elles sont généralement de plus petite taille. Ainsi, nous appuyons partiellement le mécanisme d'auto-rationnement mis de l'avant par Han et coll. (2009). Il s'agit toutefois d'un bien modeste appui, étant donné que nos renseignements de nature financière sont très limités. De plus, les emprunteurs découragés semblent entretenir une meilleure relation avec leur institution financière, puisqu'ils font principalement affaire avec des coopératives de crédit qui sont des institutions spécialisées dans les relations prêteur-emprunteur. Les emprunteurs découragés affichaient à la fois un meilleur indice de satisfaction que les emprunteurs qui avaient essuyé un refus et que les demandeurs. Grâce à cette relation, les emprunteurs découragés en ont appris davantage sur eux-mêmes et sur leur institution financière, devenant ainsi des emprunteurs plus réalistes. Par conséquent, leur décision de ne pas présenter de demande de financement est probablement rationnelle et efficiente.

Ces résultats influent sur l'élaboration des politiques, mais les emprunteurs découragés ne devraient pas être considérés comme un groupe cible pour l'élaboration d'une politique. Aucun élément ne nous a indiqué que les emprunteurs découragés étaient à la merci d'une situation, mais plutôt qu'ils étaient bien informés et qu'ils savaient quand tenter d'obtenir du financement et quand s'en abstenir.

Ce document est le premier à faire valoir que les emprunteurs découragés sont mieux informés que ceux qui ont vu leur demande de financement refusée. Il est donc important de mettre cette hypothèse à l'essai en utilisant les résultats d'autres enquêtes qui présentent des renseignements semblables sur les relations avec la banque. Il serait aussi intéressant de sonder les PME sur les attentes qu'elles nourrissent en ce qui concerne l'approbation de leur prêt. Le manque de connaissances sur le fonctionnement des banques a été discuté en détail dans des publications traitant de l'asymétrie d'information, mais, à notre connaissance, le manque de connaissances sur la situation propre à chacune des PME et sur les institutions financières avec lesquelles elles font affaire n'a pas été étudié. Ce domaine de recherche potentielle est très stimulant, car il complète les recherches relatives au rôle de la notion d'optimisme sur les activités entrepreneuriales (p. ex. Camerer et Lovallo [1999], et Landier et Thesmar [2009]). Il sera nécessaire de mener des recherches supplémentaires dans ce domaine pour comprendre la microstructure du processus de décision relatif aux demandes de financement.


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