Mémoire au ministère des Finances du Canada : cadre de surveillance des paiements de détail

Le 12 octobre 2017

Sur cette page :

Introduction

  1. Le commissaire de la concurrence (le commissaire) est heureux de soumettre le présent exposé en réponse au document de consultation du ministère des Finances du Canada intitulé Un nouveau cadre de surveillance des paiements de détail (le document de consultation).
  2. Le Bureau de la concurrence (le Bureau), sous la direction du commissaire, administre et fait respecter la Loi sur la concurrence et veille à ce que les entreprises ainsi que les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur. Suivant l’article 125 de la Loi, le commissaire peut présenter des observations en ce qui concerne la concurrence à un office, à un tribunal ou à toute autre entité qui exerce des activités de réglementation. C’est dans ce contexte qu’il soumet le présent exposé.
  3. Le commissaire se réjouit du travail de consultation mené par le ministère des Finances auprès des Canadiens au sujet des mesures à prendre pour mieux surveiller le système canadien de paiements de détail. Il a d’ailleurs soumis un exposé dans le cadre du processus précédent de consultation sur ce thème.
  4. Selon la principale hypothèse opérationnelle du Bureau, la concurrence profite tant aux consommateurs qu’aux entreprises. En ce sens, la réglementation doit être le moins interventionniste possible pour ne pas empêcher ou entraver de façon indue la concurrence du marché.

Expérience du Bureau de la concurrence dans le secteur canadien des paiements

  1. Le Bureau de la concurrence possède une vaste expérience et une grande expertise quant à l’analyse des enjeux touchant la concurrence du secteur canadien des paiements.
  2. Cette expérience lui vient en partie de ses dossiers complexes liés à l’application de la Loi, dont une demande présentée au Tribunal de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance de consentement à l’égard d’Interac, ainsi que des procédures contentieuses devant le Tribunal contre Visa Canada Corp. et MasterCard International Incorporated.

Innovation et nouveaux services axés sur la technologie dans le secteur canadien des services financiers

  1. Depuis sa dernière présentation au ministère des Finances en 2015, le Bureau de la concurrence a entrepris une étude de marché portant concernant l’innovation axée sur les technologies dans le secteur canadien des services financiers (les technologies financières). Il a mené des consultations auprès d’un éventail varié d’intervenants, notamment des décideurs, des représentants de l’industrie et des groupes de consommateurs. L’étude de marché sur les technologies financières s’articule autour de certaines questions, principalement les deux suivantes :
    1. Quelles sont les entraves à l’accès, à la croissance ou à l’adoption pour les entreprises de technologies financières? Sont-elles de nature réglementaire ou structurelle?
    2. Quel est l’état actuel du cadre réglementaire des services financiers? Favorise t il ou freine-t-il la concurrence et l’innovation? Des changements sont-ils nécessaires pour encourager une plus forte concurrence et une plus grande innovation au sein du secteur?
  2. L’étude de marché sur les technologies financières cible les innovations qui peuvent avoir une incidence sur la manière dont les petites et moyennes entreprises de même que les consommateurs sont normalement exposés aux produits et aux services financiers au Canada. Parmi les grandes catégories de services auxquelles s’intéresse le Bureau de la concurrence figurent les processus et systèmes de paiement, et plus particulièrement les services de paiements de détail (par exemple, les portefeuilles mobiles), de même que l’infrastructure de soutien à ces services (systèmes de compensation et de règlement).
  3. Le Bureau invite le ministère des Finances à prendre connaissance de son rapport sur l’étude de marché des technologies financières, qui sera publié à des fins de consultation publique en novembre 2017. De plus, le Bureau recommande au Ministère de lire le rapport résumant les travaux de l’atelier sur les technologies financières qu’il a tenu en février dernier.
  4. Dans le cadre de son étude de marché sur les technologies financières, le Bureau a rencontré des représentants de l’industrie et du gouvernement afin d’en apprendre davantage sur l’innovation et la concurrence dans le secteur financier. Le présent exposé repose en bonne partie sur les travaux de cette étude.

Document de consultation du ministère des Finances

  1. Le Bureau de la concurrence appuie le cadre proposé par le ministère des Finances, car l’incertitude en matière de réglementation peut nuire à l’accès au marché de nombreuses entreprises désireuses d’offrir des solutions novatrices de paiement. Les principes directeurs du cadre proposé devraient permettre aux forces du marché et à la concurrence de stimuler l’innovation et d’atteindre les résultats escomptés.
  2. Voici l’une des questions soumises à la réflexion dans le document de consultation : « Le cadre ferait-il suffisamment la promotion de l’innovation et de la concurrence? » La réponse brève est oui, probablement, mais il est clair que les véritables moteurs de l’innovation seront toujours les forces du marché.
  3. Pour stimuler l’innovation, il est primordial que les systèmes nationaux de compensation et de règlement soient accessibles aux nouveaux venus sur le marché, y compris les institutions non financières, qui respectent leurs obligations réglementaires. Le Bureau de la concurrence convient que l’accès à ces systèmes peut être plus ou moins restreint et que le risque peut augmenter en fonction de l’étendue de l’accès, ce qui exigerait un contrôle réglementaire serré. Il n’en reste pas moins que, pour laisser libre cours à l’innovation, il faut permettre à la concurrence d’exercer des pressions en facilitant l’accès à l’infrastructure essentielle de paiements et en assurant un contrôle parallèle des nouveaux risques.

Entraves à l’accès au marché et au changement de fournisseurs

  1. Le cadre réglementaire en matière de paiements de détail empêche bon nombre de nouvelles entreprises « non bancaires » d’accéder au marché. Ainsi que l’a souligné le ministère des Finances, des fournisseurs de service de paiements (FSP) non traditionnels ne sont assujettis à aucune exigence réglementaire particulière quant à la protection des consommateurs contre les risques opérationnels, financiers ou liés à la conduite sur le marché. Le cadre de surveillance en vigueur cible plutôt les FSP en place et traditionnels tels que les systèmes nationaux de paiements de détail, les institutions bancaires de dépôt et les réseaux de cartes de paiement. Ce type de réglementation engendre de l’incertitude pour les entreprises nouvellement installées, et élargit le fossé réglementaire entre les nouveaux FSP et ceux qui sont bien établis.
  2. Cette incertitude réglementaire accroît les coûts irrécupérables ainsi que les délais et les risques entourant l’accès au marché de nouvelles entreprises, et elle réduit d’autant les chances d’un accès réellement concurrentiel au marché. Le Bureau de la concurrence appuie l’instauration d’un « service de conseils » pour aider les entreprises qui envisagent de se lancer en affaires à comprendre la réglementation qui s’applique au marché. Cette mesure réduira les coûts irrécupérables immédiats que doivent engager les nouvelles entreprises pour entrer sur le marché et, par le fait même, les entraves à cet accès.
  3. Le cadre réglementaire peut aussi faciliter l’accès au marché pour les nouveaux FSP en renforçant la confiance du public à l’égard des services de paiement non traditionnelsNote de bas de page 1. La réglementation en vigueur comporte de nombreuses lacunes au chapitre des paiements de détail qui forcent les utilisateurs finaux et les FSP à s’en remettre à des ententes contractuelles relativement à des objectifs stratégiques aussi importants que la protection des consommateurs. Des représentants de l’industrie ont souligné que les entreprises et les consommateurs seront moins enclins à choisir un nouveau FSP s’ils sont incertains ou mal informés quant à ses obligations réglementaires.
  4. Beaucoup de nouveaux venus sur le marché doivent rivaliser avec des concurrents bien établis qui inspirent confiance dans un marché parvenu à maturité, ce qui amplifie l’incidence, sur le plan concurrentiel, des entraves à l’accès que présente la réglementation.
  5. L’absence de surveillance réglementaire complique davantage l’accès des nouveaux FSP aux services des institutions financières, y compris les services bancaires. Les institutions financières peuvent se montrer réticentes à fournir des services bancaires aux nouveaux FSP si cela signifie qu’elles doivent assumer un certain degré de risque. Les représentants de l’industrie estiment qu’une définition claire des devoirs et des responsabilités des deux parties éliminerait cette entrave à l’accès au marché, car les nouveaux FSP qui souhaitent s’implanter dans un marché disposeraient d’un accès fiable à des services aussi essentiels que les services bancaires. La capacité de vérifier si les FSP inscrits se conforment aux obligations que leur confère le cadre proposé permettrait aux institutions financières de fournir les services à l’abri de tout risque.
  6. En conséquence, le Bureau de la concurrence souscrit à la proposition d’élargir la surveillance réglementaire aux FSP définis dans le document de consultation. Des mécanismes rigoureux de divulgation et de règlement des différends aideront les consommateurs à faire des choix éclairés en tenant compte des coûts et des avantages de changer de fournisseur, et les nouveaux venus seront en meilleure posture pour renforcer la pression concurrentielle dans le marché des services de paiements de détail.
  7. Le Bureau appuierait en outre l’idée d’établir une démarcation nette entre les responsabilités et les devoirs des FSP et des institutions financières qui offrent des services bancaires, comparable à la partie 5.2.5 du document de consultation (portant sur les responsabilités respectives des FSP de détail et de leurs clients).

Équilibre de la concurrence

  1. Si la réglementation peut atténuer certaines entraves à l’accès au marché en favorisant un climat de confiance et en comblant le fossé de la méfiance, elle peut aussi compliquer l’installation de nouvelles entreprises et indirectement entraver la concurrence et l’innovation.
  2. Dans le cadre de l’étude de marché sur les technologies financières, des FSP en place ont indiqué au Bureau que le cadre réglementaire actuel ne permet pas une véritable concurrence, puisque les nouveaux venus sur le marché, y compris ceux qui offrent des services essentiellement similaires, ne sont pas assujettis à la même surveillance réglementaire et peuvent proposer des innovations qui échappent à la réglementation. Par conséquent, selon les FSP établis, la latitude donnée aux nouveaux venus les place dans une position de désavantage concurrentiel en matière d’innovation et expose les consommateurs à un risque accru.
  3. Parmi les participants de l’industrie, autant les nouveaux venus sur le marché que les joueurs déjà en place, beaucoup estiment que la réglementation devrait cibler les fonctions exercées par une entreprise plutôt que définir les entités qui exercent de telles fonctions. Une réglementation axée sur la fonction favoriserait une concurrence plus équitable en réduisant la confusion autour de l’applicabilité des règles aux nouveaux venus et en soumettant l’ensemble des entreprises à la même surveillance réglementaire. Le Bureau de la concurrence se réjouit donc que le ministère des Finances ait défini les fonctions qui seraient visées par la réglementation dans son document de consultation.
  4. Il importe néanmoins de préciser que les entreprises qui exécutent des fonctions similaires ne présentent pas toutes le même degré de risque systémique. L’application des mêmes exigences de surveillance prudentielle à toutes les entreprises risquerait d’entraver l’accès des entreprises nouvelles et innovatrices, souvent de moindre envergure sur le plan de la clientèle, de la valeur et du volume des paiements traités, ainsi que sur le plan des ressources financières. Le Bureau de la concurrence appuie le recours à divers niveaux de mesures réglementaires proposé dans le document de consultation, et il estime que les participants de l’industrie peuvent donner des conseils éclairés quant à la détermination des niveaux d’obligation.

Accès aux systèmes exploités par Paiements Canada

  1. L’une des principales entraves à l’accès au marché et à la croissance des nouveaux venus dans le marché des paiements de détail touche l’accès à l’infrastructure de base de compensation et de règlement exploitée par Paiements Canada, notamment au Système automatisé de compensation et de règlement (SACR). Les contraintes d’accès découlent
    1. des catégories de membre de Paiements Canada et
    2. du niveau des « adhérents » au SACR.
  2. Au cours de l’étude de marché sur les technologies financières, le Bureau de la concurrence a cherché à savoir de quelle manière ces restrictions entravent l’accès des nouveaux venus sur le marché et leur capacité d’exercer une concurrence véritable. Cette entrave pourrait disparaître si l’accès à l’infrastructure de paiements est amélioré, en particulier pour échanger des effets de paiement pour tout un éventail d’entités, y compris les institutions non financières.
  3. La surveillance réglementaire des FSP qui n’ont pas d’accès direct au SACR constituerait un progrès réel vers l’atteinte de cet objectif. Une fois qu’ils seront encadrés par le régime réglementaire, ces FSP auront un accès direct ou indirect au SACR et ils pourront stimuler la concurrence et l’innovation sans menacer la sûreté et la solidité du système de paiements canadien.
  4. Or, un examen rigoureux des règles de participation s’impose. Notamment, il faudra revoir l’obligation d’être membre de Paiements Canada (ou de permettre à de nouveaux types de FSP réglementés d’y adhérer) et s’assurer que les adhérents ne nuisent pas à la concurrence en empêchant, en restreignant ou en entravant d’une quelconque façon l’accès des concurrents au SACRNote de bas de page 2.

Conclusion

  1. Le Bureau de la concurrence appuie les efforts du ministère des Finances et il est convaincu qu’ils stimuleront la concurrence et l’innovation dans le marché des paiements de détail. La surveillance réglementaire peut atténuer les entraves à l’accès au marché et renforcer la capacité des consommateurs de changer de fournisseurs. Le Bureau se réjouit de constater que le ministère des Finances a tenu compte des enjeux liés à la concurrence et à l’innovation dans le cadre qu’il propose.
  2. Cela dit, les Canadiens pourront véritablement profiter de l’arrivée de nouveaux FSP seulement si ceux qui s’acquittent de leurs obligations réglementaires — telles qu’elles sont énoncées dans le document de consultation — ont accès à l’infrastructure nationale de paiements.
  3. Le Bureau et son personnel seront ravis de poursuivre leur collaboration avec le ministère des Finances dans le dossier de la surveillance des paiements de détail.