De nouvelles perspectives chaque jour dans un paysage évoluant de dramatique façon

Texte et photos de Vivien Cumming – @drvivcumming

La rivière se fraie, en serpentant, le chemin le plus facile dans un paysage de lointaine contrée que seuls les plus courageux ont la chance de contempler. Curieusement, notre déplacement quotidien devient chaque jour plus long : le chemin le plus court n’est pas toujours le plus aisé. Nous naviguons de façon à éviter les roches et les eaux peu profondes, mais le danger est plus grand que ne le révèle une carte. Nos guides de rivière, expérimentés, nous le rappellent souvent : « Il faut suivre l’eau, elle vous mène là où vous voulez aller. »

À la moitié de notre parcours le long de la rivière Coppermine, un parcours de près de 200 km, le paysage a changé de façon dramatique.

Les collines vertes formées d’innombrables couches de lave sombre entre lesquelles coulait une large rivière aux eaux calmes ont fait place à des canyons aux parois plutôt escarpées où une couche de grès rouge recouvre toutes les autres. Ici, la rivière se montre bien plus hostile. Nous affrontons notre bonne part de rapides, certains dont nous connaissions l’existence et d’autres, non.

Nous affrontons les rapides de la rivière Coppermine à bord de nos canots lourdement chargés.
Photo 1 : Nous affrontons les rapides de la rivière Coppermine à bord de nos canots lourdement chargés.

Nous avons déjà consommé plusieurs barils d’aliments, mais le poids des canots n’a guère diminué puisque les barils servent maintenant à transporter nos échantillons de roches. Ce sont de parfaits lests pour certaines expéditions, sans doute, mais ils ne sont pas très utiles pour affronter des rapides avec des vagues de quatre pieds de haut qui remplissent d’eau nos canots!

Les rapides de la rivière Coppermine, mémorables pour leur turbulence et leur beauté, portent bien leurs noms : les rapides Muskox, d’où nous avons vu un grand troupeau de bœufs musqués paître non loin; les rapides Sandstone, entourés de falaises stratifiées de grès rouge; et les rapides Escape, d’où l’on s’échappe par une gorge étroite. Celle-ci nous a offert un endroit spectaculaire pour dresser le camp sur le bord d’une paroi rocheuse, mais un groupe qui nous suivait en canot n’a pu échapper à son emprise : les courants tourbillonnants ont avalé l’une de ses embarcations. Nous avons aidé à la récupérer.

Les grès ici sont des dépôts fluviaux qui ont été laissés là par une autre rivière il y a plus d’un milliard d’années. Il y a quelque chose de merveilleux à suivre une rivière qui fraye son chemin parmi des roches formant les vestiges d’anciennes rivières.

Les canyons de grès de la formation d’Husky Creek, d’anciens dépôts fluviaux.
Photo 2 : Les canyons de grès de la formation d’Husky Creek, d’anciens dépôts fluviaux.

À examiner des couches de roches sédimentaires, les géologues ont toujours des questions à l’esprit : Dans quel type d’environnement ces sédiments ont-ils été déposés? Quand ont-ils été déposés? De quelle manière et sous quelles conditions climatiques s’est produit ce phénomène? Ces sédiments ont-ils été amenés ici par une rivière, un océan, un glacier? Dans ce voyage dans le temps, tous les scénarios se sont présentés à nos yeux et à notre imagination.

Les structures et les minéraux des roches nous donnent des indices sur la manière dont elles ont été déposées. On peut même deviner dans quel sens coulait une ancienne rivière grâce aux structures formées par les courants et qui ont laissé leurs empreintes dans les roches. Alessandro Ielpi, spécialiste de la sédimentologie fluviale de l’Université Laurentienne, et son stagiaire, Robbie Meek, sont les premiers à mesurer méticuleusement les structures de ces grès afin de dresser un portrait de l’ancienne région.

Chaque jour, ils reviennent en se réjouissant de toutes les nouvelles structures qu’ils ont découvertes dans les roches. La plupart sont visibles sur les berges, comme les rides et les fentes de dessiccation dont la préservation raconte l’histoire du chemin emprunté par une rivière fossilisée.

Rides modernes dans le sable reposant sur d’anciennes rides dans le grès.
Photo 3 : Rides modernes dans le sable reposant sur d’anciennes rides dans le grès.

L’un des principaux objectifs de notre voyage était de déterminer l’âge précis de ces roches. Nous savions déjà qu’elles dataient d’un peu plus d’un milliard d’années, mais une datation plus précise nous permettrait de déterminer exactement quelles furent les répercussions des grandes éruptions volcaniques et autres forces sur la vie et le climat d’alors.

Bill Davis de la Commission géologique du Canada a recueilli des échantillons tout le long du voyage pour trouver du zircon, un minéral très robuste qui peut servir à déterminer l’âge des roches grâce aux éléments radioactifs, appelés isotopes, qu’il contient.

La rivière, se frayant un chemin parmi des canyons et des gorges spectaculaires, nous amène à un autre ensemble de roches sédimentaires au sommet de grès fluviatiles rouges. Il s’agit de grès de couleur pâle et de schistes foncés déposés en milieu marin, ce qui nous donne à penser que le niveau océanique était plus élevé autrefois. Les schistes laissent paraître de petits éclats noirs, preuve que des microfossiles pourraient encore y être préservés. En comparant les fossiles trouvés avant et après les éruptions volcaniques, il est possible de se faire une idée de leurs répercussions sur la vie et de juger si elles ont encouragé ou retardé la diversification de la vie sur notre planète.

Les fossiles que nous cherchons font partie de la catégorie des acritarches. Ce mot est d’origine grecque : acritos signifiant confus et arch signifiant ancien. Comme vous pouvez le déduire, nous sommes à la recherche de roches anciennes et déroutantes! L’aspect le plus déroutant est que nous pouvons seulement recueillir des échantillons sur le terrain. Pour observer les fossiles, il nous faudra être en laboratoire, aidés de puissants microscopes.

Les premiers explorateurs sont venus ici à la recherche d’une source de cuivre, montant et descendant la rivière Coppermine en canot, s’alimentant des fruits de la terre et portant des peaux d’animaux. Nous venons ici avec nos canots modernes, nos barils d’aliments et nos vêtements Gore-Tex, et nous examinons les mêmes roches, mais cette fois pour découvrir l’histoire de la vie. Nous avons aussi trouvé une petite pépite de cuivre, joli clin d’œil aux expéditions d’autrefois.

Les spectaculaires chutes Bloody : il n’est pas recommandé de les explorer en canot!
Photo 4 : Les spectaculaires chutes Bloody : il n’est pas recommandé de les explorer en canot!

Nous avons passé notre dernière soirée aux chutes Bloody, aujourd’hui appelées Kugluk. Ces chutes furent nommées par un explorateur du XVIIIe siècle, Samuel Hearne, le premier Européen à parcourir le nord du Canada jusqu’à l’océan Arctique. Elles portaient bien leur nom, car c’est à cet endroit que les guides Chipewyan et Dene de l’explorateur ont massacré un groupe d’Inuits en 1771. À nos yeux s’offre un ensemble spectaculaire de rapides trop dangereux pour être affrontés en canot et qui grouillent d’ombles chevaliers remontant la rivière pour se reproduire. Ce sera donc pour nous un long portage de nos roches et de nos canots autour de cet obstacle toujours quelque peu terrifiant.

Quatre aigles royaux apparaissent pour nous guider alors que nous traversons la dernière section de la rivière avec nos canots liés, poussés par les vents favorables du sud. En entrant à Kugluktuk, le hameau inuit de 1 500 habitants situé à l’embouchure de la rivière Coppermine, sur la côte de l’océan Arctique, nous avons été chaleureusement accueillis par des enfants aux visages souriants et par de nombreuses questions sur notre aventure le long de cette rivière légendaire.

Rob Rainbird, le chef de l’expédition, fait ainsi le point sur ce merveilleux voyage : « C’est un rêve devenu réalité que d’avoir monté une expédition de recherche qui nous a permis d’atteindre tous nos objectifs tout en nous offrant un moyen de transport écologique et peu coûteux et aussi beaucoup de plaisir. Grâce à la température clémente, une équipe de recherche remarquable et des guides experts, nous avons réussi! »”

L’équipe aux chutes Bloody.
Photo 5: L’équipe aux chutes Bloody.