Jean-Guy St-Georges et St-Georges Hébert Inc. —

Décision sur la conduite professionnelle

Qu'est-ce qu'une décision sur la conduite professionnelle?

Le BSF ouvre une enquête sur la conduite professionnelle d'un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) lorsqu'il dispose d'information laissant croire que le SAI n'a pas rempli adéquatement ses fonctions, n'a pas administré un dossier comme il se doit ou n'a pas respecté la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

Dans certains cas, les conclusions de l'enquête sont suffisamment graves pour donner lieu à une recommandation de sanction visant la licence d'un SAI [annulation ou suspension de la licence en vertu du paragraphe 13.2(5)] ou imposition de conditions ou de restrictions en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI.

La décision sur la conduite professionnelle est assimilée à celle d'un office fédéral et peut faire l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.

Canada
Province de Québec

Dans l'instance de discipline professionnelle tenue en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité concernant St-Georges Hébert Inc., titulaire d'une licence de syndic pour une personne morale, et Jean-Guy St-Georges, titulaire d'une licence de syndic.

Décision concernant certaines requêtes préliminaires

J'ai entendu la présente affaire les  et  relativement à certaines requêtes préliminaires. Une période d'une semaine débutant le a été fixée pour l'audition du fond de l'affaire. Les requêtes sont les suivantes  :

  1. Objection préliminaire de l'intervenant, le Procureur général du Canada, quant à ma compétence pour examiner les questions constitutionnelles et les questions liées à la Charte que les syndics ont soulevées dans leur requête visant à faire déclarer inopérants les articles applicables de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) en l'espèce et à mettre fin aux instances engagées aux présentes.

    L'intervenant soutient qu'en qualité de tribunal administratif et de délégué du Surintendant des faillites, je ne puis examiner les questions constitutionnelles et les questions liées à la Charte que les syndics ont soulevées dans leur requête.

    Après avoir examiné attentivement les arguments invoqués à ce sujet et les autorités que les parties ont citées, j'en suis arrivé à la conclusion que j'ai le droit de déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la LFI, même si je conviens avec l'intervenant que je ne puis déclarer qu'ils sont inconstitutionnels ou qu'ils lient d'autres personnes.

    Je me fonde à cet égard sur l'avis qu'a exprimé le juge Gonthier, J.C.S.C., dans le jugement unanime qu'a rendu la Cour suprême du Canada dans Martin c. Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) le et dans lequel elle a statué qu'un tribunal administratif pouvait à juste titre se prononcer sur des questions relatives à la Charte. La Cour a souligné que cette décision serait assujettie au contrôle judiciaire et que, en tout état de cause, le tribunal administratif ne pourrait formuler de déclaration générale d'invalidité, mais simplement déclarer inopérante une disposition de la loi habilitante dans le cas sous étude sans lier de quelque façon que ce soit les décideurs qui se prononceront ultérieurement.

    Malgré les différences entre le régime administratif pertinent dans l'arrêt Martin et celui qui s'applique en l'espèce, l'arrêt Martin a une portée suffisamment large pour couvrir les audiences que tient le surintendant ou son délégué en vertu des articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la LFI et je crois que je suis implicitement autorisé à trancher les questions de droit, notamment celles qui découlent de la Charte, et que je possède la compétence nécessaire à cette fin.

    Je souligne également que la décision que je rendrais à ce sujet serait susceptible de révision en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, comme le prévoit le paragraphe 14.02(5) de la LFI.

    Pour en arriver à cette conclusion, je me fonde également sur les décisions qu'ont rendues mes collègues l'honorable Fred Kaufman, c.r., le , dans Sam Lévy and Associates, et l'honorable Lawrence A. Poitras, le , dans Jacques Roy.

    Pour les motifs exposés ci-dessus, l'objection préliminaire de l'Intervenant est rejetée.

  2. Requête des syndics en vue de mettre fin aux instances et de déclarer inopérants les articles pertinents de la LFI en l'espèce.

    En ce qui a trait au fond de la requête des syndics, les avocats m'ont cité un grand nombre d'autorités et j'ai écouté leurs arguments avec grand intérêt. Après avoir étudié les différents points soulevés, je souscris aux conclusions auxquelles en sont arrivés mes collègues Kaufman (dans Lévy le ) et Poitras (dans Roy le ).

    Leurs décisions suivent le jugement qu'a rendu la Cour d'appel du Québec le dans Métivier c. Mayrand et qui est très convaincant sur ce point.

    À l'instar de la Cour d'appel, j'estime que les dispositions applicables ne sont pas foncièrement inacceptables et que la question devient celle de savoir si la pratique suivie dans le cadre de leur mise en œuvre est répréhensible.

    Comme le juge Dussault le souligne dans Métivier, si la façon dont un délégué est nommé ne garantit pas son indépendance, la Cour ne déclarera pas inopérants les articles 14.01 et 14.02, mais conclura simplement que la procédure suivie dans le cas sous étude soulève une crainte raisonnable de partialité.

    Avec égard, je ne crois pas que l'avocat des syndics ait démontré l'existence d'une crainte raisonnable de partialité en l'espèce, par exemple, en raison de la nature polyvalente de la charge du surintendant ou du fait qu'en qualité de délégué, je peux être démis de mes fonctions pour un motif valable, que je ne possède aucune sécurité financière liée à ce poste ou que je n'ai pas le pouvoir de contraindre des personnes à témoigner en délivrant des assignations ou en imposant des sanctions pour outrage au tribunal. Ceux des arguments soulevés qui ne sont pas manifestement dénués de tout fondement, sont, à tout le moins, prématurés et hypothétiques et devraient être examinés au moment où le problème serait soulevé, le cas échéant (par exemple, par la délivrance d'assignations à comparaître par l'entremise de la Cour fédérale).

    Il convient également de préciser que le « cumul des fonctions » inhérent à la charge du surintendant des faillites est très différent de la situation décrite dans les autres décisions que l'avocat des syndics invoque, comme MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856, que la Cour d'appel a eu raison d'écarter dans Métivier.

    Dans Métivier, le juge Dussault fait état des différences majeures entre les structures imposées par la loi et les procédures en cause dans MacBain (selon lesquelles deux décisions peuvent être rendues successivement par deux organismes différents, la Commission des droits de la personne et le Tribunal des droits de la personne, les membres de ce dernier étant choisis par la première) et celles de l'affaire Métivier et de la présente affaire (où une seule décision est rendue par le Surintendant ou son délégué après la tenue d'une enquête et la production d'un rapport par un spécialiste, l'analyste principal).

    Je devrais également mentionner que les syndics ont produit la pièce R-14, soit un document formel en date du dans lequel le surintendant expose la procédure à suivre pour l'exercice des pouvoirs décisionnels du surintendant (ou de son délégué). Ce document confirme les mesures prises pour assurer une audience impartiale qui ne soulève aucune crainte de partialité touchant le processus disciplinaire et qui semblerait confirmer à son tour le bien-fondé de la décision rendue dans Métivier.

    Tel qu'il est mentionné dans Métivier, les garanties d'indépendance et d'impartialité ne doivent pas provenir du texte législatif lui-même dans le cas d'un tribunal administratif, mais plutôt de la pratique, et le « cumul des fonctions » ne constitue pas un problème intrinsèque. En fait, il semblerait que la décision rendue dans Métivier soit tout à fait compatible avec les décisions antérieures comme 2747-3174 Québec Inc. c. RPAQ. [1996] 3 RCS 919 (opinion du juge Gonthier, J.C.S.C.).

    En résumé, les garanties législatives énoncées dans la LFI elle-même ne sont pas insuffisantes dans le cas d'un tribunal administratif et les syndics, qui avaient le fardeau de la preuve à cet égard, n'ont nullement établi que la pratique du BSF en l'espèce était inacceptable.

    Pour les motifs exposés ci-dessus, la requête des syndics est rejetée et l'affaire sera entendue au fond à la date prévue.

    Addendum : À l'audience tenue le , l'avocat des syndics a soutenu qu'il avait l'intention de s'opposer à ce que le premier témoin convoqué par l'analyste principal à l'audience sur le fond témoigne, parce que je n'ai pas le pouvoir de contraindre une personne à témoigner et d'imposer des sanctions pour outrage au tribunal, ce qui constituerait un motif justifiant un « arrêt de procédures » immédiat.

    Étant donné que j'ai déjà statué sur cette question, j'aimerais prévenir les parties que j'ai l'intention de rejeter cet argument sur-le-champ, s'il devait être formulé à nouveau, et de poursuivre l'audience sans tarder, malgré toute pareille objection, qui serait purement hypothétique.

  3. Requête des syndics en vue de déterminer le fardeau de la preuve.

    Cette requête a été débattue vers la fin de l'audience tenue le . Les parties ont accepté en principe les règles exposées par mes collègues, l'honorable Benjamin Greenberg, dans Henry Sztern and Associates Inc. () et l'honorable Fred Kaufman dans Lévy () et devaient me fournir un projet d'ordonnance conjoint à être signé par moi. Étant donné qu'elles n'ont pu le faire, je rends ma décision sur cette requête comme suit :

    Je déclare que j'ai l'intention d'accepter les règles qu'a exposées l'honorable Benjamin Greenberg dans Sztern et qu'a suivies l'honorable Fred Kaufman dans Lévy relativement au fardeau de la preuve.

    L'analyste principal présentera d'abord sa preuve en déposant son rapport et en présentant la preuve testimoniale et documentaire nécessaire, que ce soit en témoignant lui-même ou en faisant témoigner d'autres personnes, afin d'établir sa crédibilité et sa fiabilité. Une fois que l'exactitude du rapport aura été établie, les syndics auront le fardeau de prouver que les fautes reprochées ne sont pas appuyées par les faits mis en preuve. Ainsi, les syndics présenteront leur preuve une fois que l'analyste principal aura déclaré sa preuve close.

    Toute question concernant la contre-preuve ou la contre-contre-preuve sera tranchée lorsqu'elle sera soulevée à l'audience sur le fond.

Signé à Montréal (Québec), le

L'honorable Perry Meyer
Délégué du Surintendant des faillites

Avocats des Syndics :
Pierre Larue (non présent à l'audience)
(Malo Dansereau)
Jean-Philippe Gervais
(Gervais & Gervais)

Avocat de l'Analyste principal, Michel Leduc : Louis-Philippe Delage

Avocat du Procureur général du Canada : Bernard Letarte
(Intervenant)



Le présent document a été reproduit dans sa version originale, telle que fournie par le délégué du surintendant des faillites.